LE photographe Régis Feugère est exposé actuellement à la Galerie Claude Samuel de Paris. Sa série photographique intitulée « Use your illusions » sera visible du 12 septembre au 9 octobre 2016.
La proposition était tellement clichée. Inviter en résidence sur le territoire royannais un artiste qui pratique la photographie. Royan, une ville parc d’attraction pour qui veut démontrer son sens de la construction de l’image. Un jeu auquel se prête assidument l’architecture avec ses appétissantes lignes venues tout droit des années 50 et venant illustrer les vues cartes postales de cette cité balnéaire. Bons baisers de Royan. Autrefois meurtrie et défendant aujourd’hui ardemment son attrait en tant que lieu de villégiature. Ajoutons à cette image parfaite, et afin d’en pimenter le décor, l’intervention de l’artiste auprès d’un groupe de lycéens. Des adolescents. Ces individus flous que l’on peinerait à situer entre la fin de l’enfance réputée innocente et l’entrée dans l’âge adulte déclamé responsable. En plus d’être insaisissables, ils seraient habités par des préoccupations effrontément légères, incorrigiblement consuméristes et fondamentalement hormonales.
Mais s’il y a une rhétorique à laquelle Régis Feugère semble hermétique, c’est bien celle du lieu commun. Lors de ses résidences, l’artiste manifeste une réticence à aborder un territoire par ce qui le définit – ou ce par quoi l’opinion s’accorde à le faire. Alors, il file la métaphore et cherche, employant une figure de style voisine, à contrarier les lieux communs par l’entremise de territoires banals. Ses recherches, il les pratique en arpentant le terrain, privilégiant les secteurs peu fréquentés ainsi que les horaires aux faibles lueurs sélectives. La série Use your illusions témoigne de cette approche. Dans une atmosphère nimbée de mystères, les paysages se constituent de territoires à la marge : secteur marécageux, quartier pavillonnaire dénué de charme, chemin mal entretenu ou encore, pont routier à proximité d’une zone industrielle. Pourtant, derrière l’apparente banalité de ces sites, l’envie de construire des narrations commence à poindre.
Si les images invitent à penser des histoires, elles n’en évacuent pas pour autant la grande, celle à majuscule. Derrière les photographies habitées par les projections de l’artiste, émerge l’Histoire, ou plus simplement, le temps qui passe. Les traces apparaissent telles des cicatrices craquelant le vernis des représentations idéalisées : des restes de bunkers, estompés par l’aménagement du paysage ; une villa désœuvrée, bientôt réhabilitée ; le centre des congrès, prochainement en travaux ; un tas de gravats, en attente d’un chantier de voirie… Pour résumer, une volonté publique de maîtriser les enjeux (urbanistique, sociologique, patrimonial…) du territoire qui apparaît dérisoire face à tout le reste, tous ces éléments sur lesquels on n’a pas de prise et qui, discrètement, s’installent dans les photographies : la brume sur les villas du front de mer, la brutalité du chaos de rochers, la végétation proliférante, les lumières blafardes, les zones d’ombre… la part d’ombre. C’est un état qui surgit de ces images. Des espaces mentaux.
Inaccoutumé à la pratique du portrait, c’est avec la méthode appliquée au territoire que l’artiste a approché les adolescents. Si une ville porte en elle les stigmates des aléas du monde, pourquoi ses habitants en seraient épargnés ? On les voudrait insouciants et grégaires, ils sont préoccupés et isolés. Dans une obscurité digne de la peinture flamande, se tiennent des jeunes sensibles à une époque cernée par l’inquiétude et les crises. Siégeant parmi les paysages, éclairés par la même lueur sélective, ils ne détonnent pas.
C’est un exercice périlleux que de se jouer du poncif. Le risque étant de faire apparaître une simple dualité, de répondre à la thèse par une antithèse. Ces portraits et ces paysages soulignent un monde cerné d’ombres, de forces et d’inquiétudes. Ils feraient apparaître la face immergée de la légèreté balnéaire. Dans un premier temps, le regard paraît arrêté. Il est tour à tour bloqué par l’obscurité, par un cadrage serré, par un obstacle. Cependant, chaque image est ouverte et contient en elle un inconnu que l’on peut potentiellement découvrir : dans le noir, au bout du sentier et du pont, derrière la brume ou le rideau, les gravats, les nuages… C’est dans cet interstice que se situe le travail de Régis Feugère, lui qui se plaît tant à parcourir les lieux entre chien et loup. Discrètement, il met en lumière des états aux seuils mobiles et poreux, évoluant selon le regard qu’on leur porte, car il ne s’agit pas tant de franchir des limites que d’être en pleine conscience des territoires multiples qui cohabitent.
Galerie Claude Samuel
69 avenue Daumesnil
75012 Paris
Exposition du 12 septembre au 9 octobre 2016