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La Maison de la Photographie Robert Doisneau présente l’exposition photographique Le studio Lévin Sam Lévin & Lucienne Chevert du 17 juin au 25 septembre 2016.

« Il y a l’homme, certes, avec son parcours singulier et son patronyme qui a fait la réputation d’un atelier de portraits, mais il y a aussi la collaboratrice, l’associée bientôt, talentueuse elle aussi. Parler du studio Lévin, c’est avant tout raconter un duo, décrire une « photographie à quatre mains » pour ainsi dire tant il est difficile de distinguer le travail de Sam Lévin de celui de Lucienne Chevert, dans une production de plus de 250 000 prises de vues réalisées pendant presque cinquante ans d’une carrière presque commune.

L’histoire du studio Lévin est faite de périodes, de ruptures avec le passé et de changements de styles. Tout n’est que renouvellement et évolution dans les entreprises conjointement menées par les deux photographes de 1934 à 1983. Une longévité qui s’explique par une aptitude au changement et par une incroyable capacité à naviguer dans les eaux changeantes d’une société en mutation : la « manière Lévin » reflète les modes et les moeurs, incarne les goûts et les imaginaires d’époques aussi différentes que l’entre-deux-guerres ou les sixties.

L’aventure Lévin débute en 1934 à Paris dans un appartement de la rue Saint-Georges. C’est dans son domicile où le salon a été transformé en atelier de prise de vues que Sam Lévin reçoit ses modèles qu’il a d’abord rencontrés sur les tournages de films. Très vite, il est rejoint par Lucienne Chevert. En 1937, le Studio Lévin déménage rue du Faubourg-Saint-Honoré. Alors que Sam Lévin, de confession juive, s’est réfugié en zone sud, en 1942, afin d’éviter la confiscation de l’affaire parisienne, Lucienne Chevert reprend le studio de la rue du Faubourg-Saint-Honoré à son nom. Jusqu’à la fin de la guerre, elle va signer les photographies de plateau d’une dizaine de films comme Sortilèges de Christian-Jaque ou L’homme de Londres de Decoin. Le portrait du Studio Lévin de la fin des années 1930 repose avant tout sur une technique, un jeu d’éclairage sophistiqué issu des plateaux de cinéma où débutent puis opèrent régulièrement Sam Lévin et Lucienne Chevert. L’esthétique de leurs photographies présente alors de nombreuses similitudes avec les films de l’époque : un accord subtil d’ombres et de lumière ; des visages sublimés par des nuances douces de noir et blanc ; des corps modelés à l’aide d’ambiances diffuses, de touches lumineuses, de fonds sombres ou rayonnants.

 

 

D’emblée, le studio se caractérise par sa clientèle presque exclusivement faite de personnages connus ou en passe de le devenir : peu d’anonymes, quelques mannequins mais surtout des acteurs et des comédiennes. Bientôt se sera toute une génération de chanteurs qui se présentera devant l’objectif du fameux studio. Car le cercle qui entoure Sam Lévin et Lucienne Chevert est avant tout celui du spectacle : le cinéma et ses stars puis la chanson et ses vedettes qui, dans les années 1960, seront, elles aussi, propulsées au rang des personnalités les plus en vues.
Á la Libération, l’atelier s’agrandit adjoignant au studio une photothèque et un laboratoire. Un salon est aménagé pour permettre l’accueil des acteurs, chanteurs et modèles qui viennent confier leur image à ce qui est devenu l’un des plus célèbres studios de la capitale. En 1948, il signe un contrat avec Unifrance et devient leur principal fournisseur d’images. Unifrance-Film a pour objet la promotion du cinéma français à l’étranger tant films que professionnels, acteurs ou réalisateurs. Pendant vingt ans, tous ceux qui comptent vont défiler sous les éclairages du 3 rue du Faubourg-Saint-Honoré. Sam Lévin travaillera aussi de manière étroite avec les disques Barclay, fournissant des photographies pour illustrer les pochettes de disque. S’associant avec des financiers, il ouvre un gigantesque studio à Boulogne-Billancourt en 1967, les Studios internationaux de photographies.

Sam Lévin et Lucienne Chevert sont très tôt reconnus pour leur talent, mais il n’est pas pour autant question de faire de l’art, de créer une oeuvre. L’image à produire est d’abord une affaire de marché et leur savoir-faire s’adapte nécessairement à une commande et à des usages. Il y a la photographie de plateau, la photographie de mode, de publicité et par-dessus tout, il y a le portrait. C’est à travers les yeux et les inventions de ces deux photographes que nous regardons, aujourd’hui encore, le visage de Martine Carol, de Gina Lollobrigida, de Claude François et notamment celui de Brigitte Bardot (que Sam Lévin suit pendant toute sa carrière). C’est dans leur studio que se façonne l’image de la célébrité et que s’élabore dans un univers fictif baigné de lumières artificielles le portrait qui ira illustrer les pages de magazines ou sera vendu sous forme de cartes postales et de posters. Le portrait est un article de promotion, il joue les intermédiaires entre la figure illustre et son audience, entre l’idole et ses groupies. Il suscite le désir et entretien le flirt. Il est à la fois intime et collectif.

De la sobriété raffinée du cliché noir et blanc, le studio passe, au lendemain de la guerre, à la couleur. Quelques années plus tard, il exploite avec délice l’éventail chromatique de la décennie « yéyé » puis adopte l’exubérance acidulée du disco. En expérimentant de nouvelles tonalités, de nouveaux décors et de nouvelles formes d’éclairages, le studio Lévin rompt avec l’idée que le portrait doit nécessairement être intemporel. En se conformant à de nouveaux codes, il affirme sa manière propre. Au sublime et à la magnificence figée, il préfère bientôt l’éclat du mouvement : le portrait doit être vivant, plus proche des lecteurs et des collectionneurs de têtes d’affiches. Demeure toutefois une constante : un certain dépouillement. Même dans les poses les plus fougueuses, même dans les mises en scène les plus éloquentes prédomine une économie de moyens et une forme de minimalisme.

Mais le « modèle Lévin » ne se réduit pas à sa seule forme plastique. Son savoir-faire ne repose pas sur un style d’images, ni sur une technique (comme chez Laure Albin Guillot) ou une signature (comme Harcourt) mais sur une manière de concevoir son métier. Le portrait chez Lévin est une question d’expériences, une histoire de relations humaines. En s’appropriant les codes des différentes époques (comme ces décors factices représentant un mur de pierre, un ciel nuageux ou encore la colline Montmartre et sa basilique du Sacré-Coeur) et en les détournant de leur usage premier, la fantaisie de Sam Lévin et de Lucienne Chevert cherche à rendre évidente la singularité des hommes et des femmes qu’ils photographient. S’ils usent de trucs et de manies, ils gardent une claire conscience que le véritable enjeu du portrait réside dans la valorisation d’un caractère, dans la représentation individualisée de leur sujet.

La prise de vue est donc affaire d’échanges. Leur talent n’est autre que cette capacité à traduire l’alchimie du face à face. Une place est laissée à l’improvisation et au jeu, à l’artifice et au geste qui révèle le personnage fictif ou réel. On passe de l’emphase théâtrale à l’abandon faussement candide et instantané. Mais en metteurs en scène avisés, les photographes gardent jalousement le contrôle de la séance. Le plan rapproché nous fait pénétrer dans l’intimité du visage, dans l’éloquence du regard. Le plan large permet au corps de bavarder. Le sourire se meut en enchantement, le geste convoque la séduction, la séduction glisse vers le rêve. Le modèle est un thème autour duquel s’invente des variations d’angles, de distances et de lumières. Comme les personnalités, les portraits se succèdent dans le studio Lévin mais ne se ressemblent pas.

En présentant des images non recadrées, cette exposition nous invite à comprendre la nature véritable d’un métier et d’une pratique. Elle dévoile la nature de l’archive sans nuire à la qualité de l’image. Négatifs et Ektachromes déploient sous nos yeux toute une grammaire d’intentions. Leurs hors-champs nous permettent de comprendre le contexte des prises de vue, de remonter à l’instant même où le modèle se révèle, de coller au plus près de l’idée du photographe opérant. Ici s’énoncent les à-côtés de la mise en scène, la cuisine du festin et les bricolages techniques dont on use pour obtenir un effet. Et l’on découvre que pour être réussie, la prise de vue met en oeuvre tout un arsenal technique fait de trépieds, de spots, de réflecteurs, de câbles, d’estrades, de rideaux et de toiles de fond colorées. On remarque enfin que le photographe est rarement seul à l’ouvrage mais qu’il est entouré d’aides, d’assistants, de costumières et de maquilleuses.

La Maison de la Photographie Robert Doisneau
1 rue de la Division du Général Leclerc
94250 Gentilly

Exposition du 17 juin au 25 septembre 2016.
Vernissage le 16 juin à 18h
Entrée libre du mercredi au vendredi de 13h30 à 18h30 et samedi et dimanche de 13h30 à 19h

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